Le viol des individus de sexe féminin n’est pas moins traumatisant qu’un deuil en ce sens que ses séquelles restent à vie sur les victimes.

Clément Capo-Chichi est le coordinateur régional pour l’Afrique de la Coalition pour la Cour pénale internationale et expert du Groupe de travail sur la peine de mort, les exécutions sommaires et extrajudiciaires de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP). Il évoque dans cette interview le caractère atroce du phénomène puis aborde également le volet ‘’prise en charge’’ et l’engagement des Etats à promouvoir les droits des femmes.

La Nation : Pourquoi le viol sur les femmes et les enfants est utilisé à la fois comme un outil de destruction et de défense en période de conflit ?

Clément Capo-chichi : Le viol est un crime flagrant avec des conséquences dévastatrices pour toutes les victimes hommes, femmes et enfants. Cet acte est commis dans l’intention délibérée d’avilir et d’humilier les victimes. Je voudrais à ce propos partager avec vous trois témoignages relatés par Sidiki Kaba dans son ouvrage intitulé  » La justice universelle en question: justice de blancs contre les autres? » publié en 2010 aux Editions l’Harmattan.
Le premier est celui d’une femme qui a été violée devant ses six enfants et son mari par les miliciens…. Ils ont tué le mari après leur crime. La victime a confié que, depuis lors, il y a un mur de honte entre elle et ses enfants qui sont traumatisés par la scène violente de son viol qui s’est déroulé sous leurs yeux. Elle se sent coupable, souillée et humiliée devant ses enfants. Elle éprouve les pires difficultés à leur offrir une éducation morale. Elle cherche toujours à convaincre un de ses enfants, plus marqué que les autres, à croire en la justice. Ce dernier veut prendre les armes pour se rendre au  » maquis » et  » venger son père ».
Le deuxième témoignage est
celui d’un homme, la cinquantaine, qui a dit qu’il avait été sodomisé par plusieurs miliciens en position accroupie à quatre pattes devant ses épouses et ses enfants. Cette situation, avilissante et infamante, lui a fait perdre tout sentiment de dignité et d’estime pour sa personne. Il avait perdu toute autorité et n’avait pas le moindre courage de croiser le regard de ses épouses et de ses enfants. Il a dû se séparer de sa famille car le poids de l’indignité lui était insupportable.
Il y a enfin celui de cette jeune fille de 18 ans malade et en phase terminale. Elle voulait décrocher son baccalauréat avant de mourir. Elle en avait fait la promesse à sa mère, morte du Sida, quelques années plus tôt. Elle tenait beaucoup à l’instruction de sa fille. La victime avait formulé le vœu de parvenir à avoir, dans les trois mois à venir, son diplôme et mourir en comptant sur nous pour que justice soit faite à toutes les victimes.
Comme vous le constatez, c’est une situation regrettable. Un acte ignoble qui doit être banni des comportements même en temps de conflits armés ou de guerres et qui doit être réprimé avec la dernière rigueur.

Comment peut-on expliquer ces actes de violences à l’endroit des êtres déjà vulnérables du fait de leur sexe ?

On s’attaque à un groupe à haute valeur symbolique, la femme, comme le rappelle un auteur, dans le seul but d’humilier l’adversaire, le corps de la femme ou de la jeune fille devenant ainsi un champ de bataille….Ces actes ignobles ne se comprennent pas et ne se justifient point. L’extrême gravité de ces actes amènent les victimes de ces crimes à subir la stigmatisation, la discrimination et la marginalisation. C’est une double peine pour elles.

Qu’apportent les gouvernements aux victimes et à leurs familles en termes de prise en charge ?

Malheureusement et c’est souvent le cas, les victimes par pudeur, par hypocrisie ou par crainte de représailles de la part de leurs bourreaux, refusent de parler. C’est la loi du silence et donc il n’y a pas de justice. La dénonciation doit précéder la prise en charge. Il faut une prise de conscience quant à la gravité potentielle des conséquences psycho-sociales sur la santé, si elles ne sont pas traitées.
Cependant la prise en charge généralement se base sur les services médicaux, de protection et de sécurité, les services psycho-sociaux et légaux.

Lorsque nous prenons l’exemple d’un pays africain comme la Côte d’Ivoire, comment les victimes de viol ont-elles été prises en charge au lendemain des violences post électorales de 2010-2011 ?

A la lecture du Rapport intitulé «Côte d’Ivoire : Sortir du conflit/Projet d’appui multisectoriel (composante basée sur le genre)» publié par Groupe de la Banque africaine de Développement (BAD), nous lisons que «les survivantes des violences basées sur le genre ont dû faire face à divers traumatismes physiques et psychologiques, notamment les syndromes post-traumatiques, stress, anxiété, problèmes gynécologiques nécessitant une intervention chirurgicale (à cause des fistules obstétricales), et infection par le VIH/SIDA. Deuxièmement, elles ont été stigmatisées par leurs familles et leurs communautés; certaines d’entre elles ont dû continuer à cohabiter avec leurs bourreaux, d’autres n’avaient d’autre choix que d’admettre que les violences basées sur le genre sont quelque chose de presque normal…».
Cependant et malgré les difficultés rencontrées, de nombreuses interventions ont étés entreprises sur l’ensemble du territoire dans plusieurs domaines (santé, juridique, psychosocial, protection et sécurité) par un large éventail d’acteurs, issus des structures étatiques, de la société civile nationale, des ONG nationales ou internationales, des organismes du Système des Nations Unies et ceci notamment au niveau de la prise en charge médicale, juridico-judiciaire et sécuritaire.

Aujourd’hui, quel est l’engagement des gouvernements à faire progresser aux côtés de la Cour pénale internationale (CPI), les droits des femmes et à mettre un terme à la violence sexuelle et basée sur le genre ?

Le viol est une infraction incluse dans la définition des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Les gouvernements ont un devoir substantiel de protection des droits sexuels.
Je voudrais à juste titre rappeler les propos de Jelena Pia Comella, directrice exécutive adjointe de la Coalition pour la Cour pénale internationale, qui, à l’occasion de la Journée internationale de la Femme en 2015, déclarait que : «…En ratifiant le statut de Rome qui criminalise la violence sexuelle et basée sur le genre, les Etats peuvent contribuer à éradiquer la commission des crimes sexuels et basés sur le genre durant les conflits».
C’est là tout l’enjeu aujourd’hui et le Document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste publié par le Bureau du procureur de la CPI vient pour attirer l’attention de tous sur le fait que « si l’on veut mettre fin au fléau de l’impunité, il est impératif que les États s’acquittent de leur responsabilité qui est d’enquêter efficacement sur ces crimes internationaux graves, y compris les crimes sexuels et à la motivation sexiste, et d’en poursuivre les auteurs»
En ce qui concerne le Bénin, conformément à la recommandation du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), le législateur béninois a affirmé sa volonté de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe exercée par toute personne, organisation ou entreprise par le vote d’une loi qui «…a pour objet de lutter contre toutes formes de violences à l’égard des femmes et des filles en République du Bénin et qui à travers ses volets pénal, civil et social, vise à donner une réponse pluridisciplinaire aux violences faites aux femmes».
L’article 2 de cette loi définit les violences à l’égard des femmes, «comme tous actes de violences dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée…».
Il apparaît clairement que le législateur béninois a bien voulu aussi faire suite à la question de la violence fondée sur le sexe, en mettant un accent particulier sur l’exigence de la dignité pour les individus de sexe féminin confinés dans la pauvreté. Ces personnes veulent la fin de l’injustice et de l’exclusion qui les confinent dans la privation. Elles souhaitent avoir le contrôle sur les décisions qui affectent leurs vies. Elles veulent que leurs droits soient respectés et que leurs voix comptent. Et cela est possible, car le cadre normatif existe même si dans la pratique la dignité de la femme béninoise demeure un combat perpétuel.