L’engagement des médias en tant que composante de la société civile est fondamental en cette période électorale au Bénin pour faire progresser la responsabilité de protéger.
Car il convient de noter que la responsabilité de protéger est une norme pour prévenir et interrompre les atrocités de masse. Et ce Groupe cible préoccupe en cette période électorale de par sa capacité à modeler la vision de l’opinion. Quel rôle doivent jouer les journalistes en cette période cruciale pour la préservation de la paix, le respect des Droits de l’homme et la prévention des conflits.
I- L’engagement des médias est fondamental
Dans un Rapport publié en 2004 par le Groupe de personnalités éminentes sur les relations entre l’Organisation des Nations Unies et la société civile, rapport commandité par le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi Annan, et intitulé « Nous peuples : société civile, Organisation des Nations Unies et gouvernance mondiale », il est écrit que :
« Les conflits d’aujourd’hui semblent plus complexes que jamais. Pour y faire face, il faut d’énormes connaissances sur le terrain, de nouveaux outils, de nouvelles aptitudes en matière d’analyse sociale et culturelle, une participation active des populations locales et de leurs dirigeants, des liens avec les groupes vulnérables et des passerelles qui conduisent à l’intégration dans le processus de développement. Les organisations de la société civile sont souvent idéalement placées dans tous ces domaines ».
Il apparaît donc clairement que les gouvernements ne peuvent à eux seuls relever les défis que pose le monde d’aujourd’hui.
En effet, précisent les auteurs du Rapport cité plus haut, « en tant qu’organisations de masse (telles que les organisations de paysans, de femmes ou de retraités), syndicats, associations professionnelles, mouvements sociaux, organisations de peuples autochtones, organisations religieuses et spirituelles, associations d’universitaires et organisations non gouvernementales d’intérêt public, le rôle de la Société civile s’avère primordiale et déterminant ».
Les médias doivent donc jouer donc ce rôle fondamental, celui de veille citoyenne dans le cadre juridique et institutionnel des élections au Bénin. Le risque que court le peuple béninois réside dans le fait que les journalistes n’agissent pas suffisamment pour rappeler à chacun ses droits et devoirs ceci conformément à la loi. Leur implication est nécessaire voire indispensable dans ce processus où ils sont abondamment sollicités.
II- L’encadrement juridique des médias est nécessaire
Un processus électoral doit être conduit dans un contexte où la population peut pleinement profiter de tous ses droits politiques et de ses libertés fondamentales.
L’article147 de la Constitution du Bénin va reconnaître la primauté du droit international en postulant que Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.
Le Bénin à ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), cette dernière fait partie intégrante de la constitution du Bénin.
Quels sont les droits ou libertés fondamentales que ces traités énoncent, que le Code électoral protège et dont la violation en cette période sensible pourrait déclencher des mécanismes d’alertes de la part des acteurs majeurs que sont les médias ?
La Constitution du Bénin est très précise en son article 23 qui reconnaît que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements.
La liberté d’expression est essentielle en période électorale dans la mesure où les personnes ne peuvent effectivement exercer leur droit de vote que s’ils sont en position de prendre une décision avisée.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans son Observation générale n° 25 insiste sur la nécessité de garantir non seulement le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, mais aussi et surtout le droit de vote et le droit d’accéder dans les conditions générales d’égalité aux fonctions publiques.
Il apparaît donc impérieux d’examiner toute restriction à la liberté d’expression d’idées politiques.
L’article 19.3.b) PIDCP, énonce clairement que les restrictions à la liberté d’expression sont uniquement autorisées, si elles sont nécessaires et proportionnées au respect des droits ou de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
La liberté d’expression est essentielle à l’exercice du droit à la liberté de réunion et d’association et du droit de vote. A cette fin il est primordial de disposer de la liberté de recevoir et solliciter des opinions et informations.
Les Médias doivent s’engager à respecter et à garantir à tout citoyen le droit d’être élu et de prendre part à la direction des affaires publiques sans distinction aucune, notamment d’opinion politique ou de toute autre opinion.
Dans ce sens aux termes de l’article 48 de la loi N°2013-06 du 25 novembre 2013 portant Code électoral en République du Bénin, il est précisé qu’en période électorale, les candidats ou listes de candidats bénéficient d’un accès équitable aux organes de communication audiovisuelle publics ou privés.
Il apparaît donc que les médias libres indépendants et professionnels sont le socle de la démocratie et les garants de la paix sociale, de l’Etat de droit et des droits de l’homme. Quelle doit être dans ces conditions la posture des médias pour prévenir les conflits ?
III- La responsabilité des journalistes est impérative
Dans le Document cadre de prévention des conflits de la CEDEAO (DCPC) adoptée par la Commission de la CEDEAO à Abuja en Janvier 2008, “… l’expression prévention des conflits, fait référence à la transformation non violente (ou créative) des conflits et englobe les Activités visant à désarmorcer les tensions ou à empêcher la flambée, l’escalade, la propagation ou la récurrence de la violence. En matière de stratégies de préventions des conflits, on peut faire la distinction entre la prévention opérationnelle (les mesures qui peuvent être appliquées face à une crise inminente) et la prévention structurelle (les mesures à prendre pour, dans un premier temps, éviter la crise et, le cas échéant, faire en sorte qu’elle ne se reproduise plus). L’objectif n’est pas de prévenir le conflit, à proprement parler (le conflit étant une conséquence naturelle du Changement), mais d’empêcher que ces conflits ne dégénèrent en violence…”
Dans le livre intitulé : « Evaluation de la participation des médias dans la consolidation de la paix, la prévention des conflits et les droits de l’homme en Afrique de l’Ouest. Regards croisés d’universitaires et de journalistes professionnels », les observations et interprétations fournies par les experts dans l’ouvrage montrent que, dans l’essentiel des pays d’Afrique de l’ouest : (i) les médias sont souvent des fauteurs de violence plutôt que des facteurs de paix ; (ii) très peu de journalistes ont reçu une formation théorique et pratique appropriée en matière de « journalisme sensible aux conflits ».
Le Gorée Institute, Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique, dont le siège se trouve au Sénégal, et initiateur de ce livre, est convaincu que les médias libres, indépendants et professionnels sont le socle de la démocratie et les garants de la paix sociale, de l’Etat de droit et des droits de l’homme.
Pour le Gorée Institute en effet, « la participation des médias au processus de paix ne se résume pas seulement à la capacité des particuliers à présenter une information plus ou moins fiable :
Elle suppose le respect des normes et principes déontologiques dans la pratique professionnelle quotidienne.
Elle implique aussi l’appropriation et la mise en pratique des normes et standards internationaux pour la promotion de la paix et de la sécurité internationales.
Elle requiert enfin des compétences très spécialisées dans le domaine du « journalisme sensible au conflit » ou « journalisme de paix ».
Par l’expression « journalisme sensible au conflit », le Gorée Institute entend un journalisme qui milite en faveur de la paix et la cohésion sociale, qui ne se contente pas seulement de couvrir les guerres et les autres crises sociopolitiques, mais qui contribue aussi à les prévenir. De ce point de vue, un « journaliste sensible au conflit » est « un observateur, un informateur mais surtout un agent d’apaisement ».
Dans le contexte actuel des élections au Bénin, Il s’agit pour le journaliste de comprendre le lien entre ses activités professionnelles et le contexte : quel impact peut avoir l’un sur l’autre ?
Par conséquent, le journaliste sensible au conflit doit toujours se poser une question cruciale : Ce reportage est-il en train de renforcer des lignes de division, d’accentuer des relations de pouvoir et donc des frustrations ?
Le code de déontologie de la presse béninoise qui comporte 26 articles dont 20 devoirs et 6 droits vient à juste titre pour rappeler à tout journaliste ses devoirs en vue de faire progresser la responsabilité de protéger en cette période sensible pour le Bénin.
L’Article premier intitulé : L’honnêteté et le droit du public à des informations vraies va préciser que « le journaliste est tenu de respecter les faits, quoi que cela puisse lui coûter personnellement, et ce en raison du droit que le public a de connaître la vérité ».
L’Article deuxième met en lumière la responsabilité sociale du journaliste qui doit publier « uniquement les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies. Le moindre doute l’oblige à s’abstenir ou à émettre les réserves nécessaires dans les formes professionnelles requises…Le traitement des informations susceptibles de mettre en péril la société, requiert du journaliste, une grande rigueur professionnelle et, au besoin, une certaine circonspection ».
Aux termes de l’Article10, « le journaliste se refuse à toute publication incitant à la haine raciale et religieuse. Il doit proscrire toute forme de discrimination. Il s’interdit l’apologie du crime.
En définitive, l’article 19 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948 énonce que: « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
La liberté d’opinion et d’expression est donc cruciale pour le développement des individus et des communautés, et à la protection et à la réalisation d’autres droits fondamentaux. Cette liberté est fondamentale pour les activités artistiques, religieuses ou politiques, et forme la pierre angulaire de la démocratie.
Deux des indicateurs qui permettent d’évaluer les progrès accomplis dans la création d’un paysage médiatique contribuant à la promotion de la paix et la sécurité, est d’une part “ l’existence d’un paysage médiatique diversifié et dynamique où la pratique du journalisme est régie par la responsabilité, l’impartialité, l’objectivité, ainsi que la promotion de l’unité Nationale et de l’intégration régionale, pour guider la pratique médiatique… “ et d’autre part “ la diminution des cas de persécution des journalistes…”
C’est le constat fait dans le Document cadre de prévention des conflits de la CEDEAO (DCPC) précité, constat que vient renforcer Le code de déontologie de la presse béninoise en son Article 24 en mettant d’ailleurs l’accent sur la protection du journaliste et en précisant que « le journaliste a droit, sur toute l’étendue du territoire national, et ce sans condition ni restriction, à la sécurité de sa personne, de son matériel de travail, à la protection légale et au respect de sa dignité ».
Voilà pourquoi nous saluons l’initiative du Réseau des ONG de défense des droits de l’Homme (RODDH-Bénin) et de Amnesty International à travers le « Manifeste pour les droits humains au Bénin ( AI Index AFR14/3375/2016) » lancé, le 10 février 2016, pour appeler les candidats à l’élection présidentielle à s’engager sur dix mesures en faveur du respect et de la promotion des droits humains, au nombre desquels l’engagement N° 5 qui vise à « prendre des mesures visant à protéger les journalistes, les défenseurs des droits humains et les militants politiques contre les arrestations arbitraires ».
Nous ne saurons terminons notre tribune sans inviter tous les journalistes appelés à assurer aussi la « sécurité humaine » en tant que groupe cible important de la société civile en prenant la « responsabilité de prévenir, de réagir et de reconstruire dans les faits et les actes » afin que la couverture de l’élection présidentielle au Bénin se déroule dans un climat de paix, de justice et de fraternité.
Seulement ainsi, au soir du 06 avril 2016, jour de passations des charges présidentielles, nous pourrons fièrement qualifier chacun des acteurs des médias de « journaliste sensible au conflit ».
Sêgnitondji Isidore Clement CAPO-CHICHI
Représentant Résident
World Federalist Movement/Institute for Global Policy